vendredi 21 mai 2010

De l'occurrence d'une rencontre

Occupée à fomenter une terrible vengeance contre Camille dans un bouge de la pire espèce, je n'ai pas vu l'heure tourner jusqu'à ce qu'on me jette dehors. Mon esprit encore embrumé par les vapeurs de l'alcool, tentant de ne pas glisser sur le pavé humide, je regagnais avec difficulté mon immeuble. Sur le chemin, je répètais mon plan échafaudé avec minutie et détermination. Celui-ci incluait dans le désordre : un épagneul breton, une cornemuse, la 4L de mon beau-frère et le boucher de mon quartier. Je vous laisse deviner ce que je comptais faire subir à Camille avec tout ça (j'ai beaucoup d'imagination).

J'en étais à me demander si je n'aurais pas également besoin d'un sabre laser (quand je vous dis que j'avais bu) lorsque je tombais nez à nez avec un chat gris trempé et roulé en boule sur mon paillasson. Frissonnant de froid, l'air perdu, il tourna ses grands yeux verts dans ma direction, comme pour me dire "Laisse-moi entrer." J'ai fait oui de la tête, j'ai ouvert la porte et il s'est immédiatement faufilé dans l'entrebâillement. Installé sur le canapé, il a attendu que je lui donne à manger, et une fois son bol vide, il est allé se coucher sur mon lit comme s'il connaissait déjà les lieux. Trop ébaubie pour protester, je l'ai laissé faire et je me suis couchée à mon tour.

C'est réveillée par des miaulements que j'émerge de ma léthargie. Le chat a encore faim et il ne va pas tarder à faire ses besoins n'importe où si je ne lui installe pas une litière correcte. Je lui cède donc ma dernière tranche de jambon et pars faire des courses. Au retour je croise sur mon chemin Madame Duboc et Pâté. Celle-ci s'arrête à ma hauteur pour me saluer (depuis que j'ai sauvé son chien obèse j'ai le droit à tout son respect, et même aux meilleurs potins de l'immeuble).

Elle repère immédiatement le sac de litière pour chat que je tiens à la main et entame la conversation : "Alors Madame Claude, vous avez un chat maintenant ?". Prise de cours je bredouille : "Heu, non non je fais du cat-sitting pour... ma belle-soeur !
- Ho et bien faites attention à ce qu'il ne s'échappe pas alors, c'est arrivé à M.Goupil dans la nuit !
-Ha...
-Oui ! remarquez, vu la vie dissolue qu'il mène, ça ne m'étonne pas que son chat se soit enfui. Dieu prenne soin de la pauvre bête ! Enfin, il ne pourra pas trouver pire maître que votre voisin de palier..."

Intriguée je m'apprête à l'interroger pour en savoir plus, lorsque Camille arrive à son tour dans la cour d'immeuble. Je me raidie aussitôt et part sans même dire au revoir à Madame Duboc. Lorsque je pénètre dans mon salon, Moïse m'attend sur le canapé (oui j'ai appelé le chat Moïse, après tout je l'ai sauvé des eaux à ma manière). Il me regarde avec un air compréhensif mais je sais que ce n'est pas lui qui réglera mes problèmes avec Camille. Enfin peut-être me permettra-t-il au moins de rencontrer le Goupil Anonyme plus tôt que prévu ?

mercredi 12 mai 2010

De l’ignominie de la trahison

Voilà quelques temps que je n’ai plus écrit, et pour cause : je laissais bêtement Camille me guérir de mon manque de confiance chronique en la race humaine. Me guérir, oui c’est le mot qu’elle employait. Si j’avais su… La traîtresse ! Mais elle s’est bien moquée de moi, et plus je sombrais dans une confiance aveugle, plus elle fomentait son plan diabolique. Voila comment cette petite garce s’y est prise.

En bas de chez moi, il y a un pâtissier. Il est souriant, drôle et séduisant ; il vend des éclairs aux chocolats à tomber, et des macarons complètement aphrodisiaques. Il s’appelle Alfred et ce n’est pas n’importe quel pâtissier, c’est MON pâtissier. C’est à moi qu’il fait des petits paquets, des clins d’œil, des plaisanteries… Et c’est moi et moi seule qu’il salue de la main quand je passe devant sa vitrine le matin.

Mais voilà, en partant travailler aujourd’hui, j’ai remarqué que je suivais Camille, et je me suis donc dépêché de fermer la porte d’entrée de l’immeuble pour la rattraper. Je commence à trottiner vers elle, quand je m’arrête, nette. Ralentissant sa marche en passant devant la pâtisserie d’Alfred, Camille se tourne vers la vitrine et effectue un salut de la main digne d’une Miss France. Son sourire éclatant ne laisse aucune place au doute : Alfred est en tête de liste de ses futures conquêtes. Ah, la salope !*

Tout tourne autour de moi. Mettant quelques temps à reprendre mes esprits, je laisse cette petite garce s’éloigner. Je reprends mon chemin et passe devant chez Alfred en masquant mon trouble comme je le peux. La tête haute, je ne lui adresse même pas un regard et je continue ma route, mécaniquement.

Je suis honteuse de m’être laissé berner par Camille, mais maintenant je sais que ce qu’elle appelait « me tirer de mon isolement », était en fait une tactique pour endormir mon sens critique et ma verve. Le pire, c’est qu’elle a réussi… Mais elle n’a pas pleinement atteint ses objectifs. Elle m’a simplement détourné pendant un temps de mon enquête que je vais reprendre sans tarder : je découvrirai bientôt qui se cache derrière le goupil anonyme !

* Ceci n’est pas une insulte gratuite mais une chellyssade. Merci Louise d’avoir inventé cette figure de style si savoureuse :)

vendredi 9 avril 2010

De la volupté de la confiance

Cela fait maintenant quelques semaines que j’ai pris la décision de rencontrer mes voisins, et je dois dire que c’est assez bouleversant. Imaginez, il y a à peine plus d’un mois, j’étais le docteur House de l’immeuble. Je n’avais pas prévu que mes nouveaux rapports avec les gens allaient m’attirer de la sympathie, et même l’envie d’être sympathique. Sincèrement.

C’est cependant ce qui m’est arrivé il y a une heure.
Il ne vous aura pas échappé que nous traversons une période pour le moins humide dans notre cher pays. Période qui se traduit par de brèves mais intenses trombes d’eau sur les imbéciles qui ont la bonne idée de se trouver dehors à ce moment là. Et bien c’était mon cas tout à l’heure. Luttant contre les éléments déchaînés, j’avançais comme je le pouvais avec un vent de face. Un vrai Paris-Roubaix.

Au bout d’une demi-heure à ahaner sur mon bolide, j’arrive devant l’immeuble, suante et trempée jusqu’aux os. C’est alors que se produit l’inimaginable : la porte s’ouvre. Aucune parade, fuite ou entourloupe possible, je vais découvrir un nouveau voisin et lui apparaître dans toute mon humanité, l’horreur quoi.

Pourtant ce n’est pas sur un nouveau visage que s’ouvre le battant, mais sur celui familier et souriant de Camille. Se moque-t-elle de moi ? Non, elle semble même plutôt compatir à mon état : « Ho, ma pauvre Madame Claude ! Entrez vite, vous allez attraper froid ! ».

Les jambes flageolantes, j’entre dans la cour. Camille m’aide à déposer mon vélo puis me fais entrer dans le hall de l’immeuble. Je me laisse dorloter par ses paroles et régresse avec volupté lorsqu’elle me prépare une tisane. Rassurée par ses mots pleins de tendresse, je glisse peu à peu dans un plaisir qui m’étais encore inconnu : la confiance.

vendredi 26 mars 2010

Du sauvetage de Pâté

Cette fois, je crois bien que j'ai touché le gros lot et définitivement effacé ma réputation de Docteur House de l'immeuble. En effet, j'ai sauvé la vie de Pâté ce matin. Pâté, c'est le chien de Mme Duboc la concierge. Enfin la concierge, pas vraiment. Disons plutôt la grand-mère du rez-de-chaussée qui connait tous les potins du quartier. Un véritable indic quoi.

Et bien cette grand-mère là, elle n'a pas de chat, elle a Pâté. Un chien vraiment immonde qu'elle gave pour je ne sais quelle raison. Au début je pensais que c'était pour faire du foie gras, mais puisque ça fait 8 ans qu'il passe le Nouvel An, ça ne doit pas être ça.
Enfin revenons à ce matin, je prends mon courrier et j'arrive dans le hall lorsque je vois Mme Duboc s'élancer vers moi en couinant : "Pâté ! Pâté ! Il est en train de s'étouffer !". Par la porte ouverte de son appartement, je vois le chien qui pousse des râles pathétiques et je saisis tout de suite le problème.

Ni une, ni deux, je me précipite sur lui, fourre ma main dans sa gueule (beurk), et après quelques secondes d'exploration en ressort un os de poulet plein de bave.
Pâté respire un grand coup, Mme Duboc se jette sur lui en pleurant, et moi je me sens souillée. Puis la vieille se rue sur moi en chialant comme une madeleine éperdue de reconnaissance. J'esquive le câlin et fonce me désinfecter l'avant-bras.

Bon, depuis je suis une héroïne dans tout l'immeuble et surtout pour Mme Duboc. Cette notoriété soudaine me laisse dubitative mais j'essaie de voir le bon côté des choses : j'ai un indic hors pair qui me doit une fière chandelle... Et je compte bien sur elle pour faire avancer mon enquête sur le Goupil Anonyme.

samedi 6 mars 2010

De la précarité des étudiants

Quand on est un être acariâtre comme moi, on ne va pas au restaurant avec des amis, on ne se fait pas de toile en amoureux, on ne prépare pas un dîner presque parfait pour ses parents. Mais on sort quand même dans les bars, et c’est précisément ce que je m’apprêtais à faire hier soir.

Alors que je descendais les escaliers, j’entends que ça tape à la porte de l’immeuble. Encore une âme en perdition que je vais sauver et qui me sera éperdument reconnaissante ? A la place d’un pauvre plouc coincé dans la cour, c’est en fait à deux malabars en blousons de cuir que j’ouvre. Mauvaise pioche. Je commence à refermer la porte pour ne pas me faire violer, mais le malabar de gauche annonce d’une voix guillerette : « C’est les éboueurs ! On passe pour les étrennes ! ». Ouf.
Enfin, ouf, pas tant que ça, je n’ai pas du tout envie d’engraisser un peu plus ces espèces de fonctionnaires ! Des étrennes début mars, et puis quoi encore ?! Mais je suis prise au piège : je suis descendue avec mes sacs poubelles à la main. Et pour noircir le tableau, j’entends des gens descendre l’escalier.
Une minute… Peut-être est ce l’occasion rêvée pour se faire bien voir de mes nouveaux voisins ? Après avoir testé le secours puis le pardon, je vais essayer la générosité.

Un sourire obséquieux se coule sur mes lèvres alors que je réouvre la porte et mon sac à main dans le même temps.
« Ah oui, les étrennes, bien sûûûûûr ! Oh, je devrais pouvoir vous trouver un petit quelque chose ! ». Je farfouille bruyamment dans mon porte-monnaie histoire de laisser le temps à mes voisins d’arriver dans le hall de l’immeuble.
Je constate avec satisfaction que c’est un jeune couple qui surgit bientôt. Le billet que je tendais au malabar de gauche (ce doit décidément être lui le meneur) en profite pour disparaître dans sa grosse pogne. Je lance un au revoir ainsi que quelques encouragements à mes chers éboueurs, puis je me tourne vers mes nouveaux voisins.

« Oh, bonsoir, je ne vous avais pas vus ! Vous vouliez peut-être donner quelques étrennes ? ». Ils bredouillent, embêtés. J’ai vu juste, se sont sans doute des étudiants un peu fauchés. « Oh, mais ce n’est pas grave, je leur donné suffisamment pour tout l’immeuble de toute façon ! Je suis Madame Claude. » Les deux jeunes me serrent la main soulagés et polis. Puis je prends vite congé d’eux pour ne pas que mon acte de pure bonté les embarrasse trop.

Je sors une fois pour toute de l’immeuble, balance mes sacs à la poubelle, et cours au bar pour noyer dans l’alcool ce qui est en train de devenir une vraie profession de foi.

mardi 23 février 2010

De la superbe du samaritain

Aujourd’hui, 15H. Peu habituée à ce qu’on sonne chez moi, je mets du temps à retrouver mon interphone. Je décroche enfin. « Allô, heu bonjour, c’est Madame Maerten. »
La voix est timide, tendue, mais elle ne m’est pas inconnue… C’est une voisine que j’ai déjà croisée, lorsque j’ai eu des problèmes de batterie sur ma voiture l’année passée. Je me rappelle que son mari m’avait aidée à contrecœur, et avait conclu en disant : « C’était bon pour cette fois, mais si ça se reproduit, allez voir quelqu’un d’autre. » Un type encore plus agréable que moi quoi.

« Mon époux n’est pas là cette semaine et j’ai un problème de voiture. » Tiens, tiens, tiens ! Je jubile intérieurement. « Je pense que c’est la batterie, si je pouvais brancher mes câbles sur votre voiture… » continue-t-elle.
Je suis d’abord tentée de lui répondre « Bien fait grognasse ! » et de raccrocher violement le combiné. Je me ravise pourtant et décide de tirer parti de l’ironie du sort pour lui démontrer à quel point je suis magnanime.

« Madame Claude ? » Ce blanc a dû lui sembler durer une éternité, je n’en suis que plus ravie. « Oui, oui, je descends tout de suite ! ». Un quart d’heure plus tard, sa Peugeot 406 démarre joyeusement. Madame Maerten, quant à elle, s’étale en remerciements mielleux et m’invite à prendre le café. Je refuse avec superbe, prise par des « obligations professionnelles », et remonte chez moi savourer ma victoire en postant cette note.

Mais alors que j’arrive sur mon palier, je réalise que la porte de mon voisin d’en face est ouverte. J’avance discrètement pour essayer d’apercevoir le goupil anonyme sans l’effrayer… Alors qu'une dame d’une soixantaine d’années sort de chez lui en claquant la porte derrière elle ! Raté, je suis tombée sur sa mère.
Et franchement, si il lui ressemble, il ne vaut pas le coup que je le rencontre.

dimanche 7 février 2010

De l'utilité des facteurs paresseux

Parée de ma bonne résolution, je me dois donc de ne rencontrer mes voisins que dans des situations qui me conviendraient. C'est-à-dire quand je serais en position de supériorité. Je dois bien l’avouer, cela n’a pas toujours été facile et je me suis retrouvée plusieurs fois planquée entre deux voitures ou dans le garage à vélo pour ne pas croiser un nouveau voisin inopinément.

Pourtant ce midi, j’ai baissé la garde en revenant chez moi. Constatant que le facteur a une fois de plus glissé le courrier sous la porte d’entrée au lieu de rentrer dans le hall pour le distribuer, je ramasse le tas d’enveloppe en grommelant. Je cherche si une lettre m’est adressée, quand je vois la porte d’entrée s’ouvrir. Trop tard, je n’ai plus le temps de me cacher.
J’entreprends donc de répartir le courrier dans les différentes boîtes aux lettres. Je m’offre ainsi le beau rôle de la voisine serviable, alors que quelques secondes plus tôt il ne me serait jamais venu à l’esprit de rendre ce genre de service.

Une fille fluette entre, tirant derrière une énorme valise visiblement très lourde. Je la salue d’une voix tellement avenante qu’elle me surprend moi-même, je me permets même de la tutoyer : « Bonjour, le facteur a encore glissé les lettres sous la porte, il y en peut-être une pour toi. » Je lui tends le tas. Elle prend la lettre adressée à Melle Camille Flament et me rends le reste en me remerciant. Je finis de répartir les enveloppes alors qu’elle commence à tirer sa valise comme elle le peut dans la cage d’escalier.
« Je peux t’aider ? » je demande. Surprise, elle accepte et nous montons ensemble jusqu’au dernier étage en papotant de son arrivée toute récente à Lille. Et voilà le tour est joué, je me suis mise une voisine dans la poche en moins de dix minutes. Qui plus est, une de mes voisines de palier.

Mais je dois bien l’avouer, tant de bons sentiments d’un coup, ça m’a presque dégoûté : prendre un air avenant, parler de manière agréable mais assurée et rendre service… Je ne sais pas si j’y arriverai à chaque fois.